Victoire de Changy est une autrice ayant déjà publié des romans, recueils de poésie mais aussi deux albums jeunesse illustrés par Marine Schneider, L’ours Kintsugi et Le Bison non-non aux éditions Cambourakis. Elle a récemment participé à la reprise de la librairie Les Yeux Gourmands à Bruxelles.

Fanny Dreyer est une autrice et illustratrice suisse, dont j’ai déjà parlé ici pour son album La Colonie de Vacances aux éditions Albin Michel jeunesse, installée en Belgique où elle participe au fanzine pour enfants Cuistax avec Chloé Perarnau et Sarah Cheveau, dont un numéro portait d’ailleurs déjà sur les collections. Elle est la plupart du temps autrice des textes de ses albums mais s’est ici associée pour ce projet à Victoire de Changy.

Dans cet album, les deux autrices nous présentent leur collection, rangée, organisée, classée, décrite et illustrée : une collection de collectionneurs. Ce recueil brosse le portrait de sept enfants et de leurs collections respectives, choisis avec soin un par jour de la semaine, et d’un adulte, l’artiste Christian Boltanski, collectionnant les battements de cœur sur une petite île au large du Japon, frissons pouvant lier tous ces enfants à leurs collections mais aussi entre eux. En finissant par cette ultime séquence éclairant toutes les autres, l’on n’a alors qu’une envie, rouvrir le livre au début et le relire encore.

Le principe même de l’acte de collectionner peut être lié à l’enfance. Cela peut constituer un défi ou un jeu de recherche, de systématique et d’accumulation. Ici, les enfants collectionnent et surtout cherchent des choses plus ou moins précises comme des galets, des chevaux, des mains ou ce qui a trait à l’automne. Il y a là des obsessions qui perdurent ou évoluent dans le temps. Les choses convoitées, parfois naturelles et trouvées au gré des promenades, parfois créées ou sélectionnées avec soin, deviennent des trésors par leur addition et leur valeur affective. Une ambivalence arrive autour de la possession et de la valeur que l’on donne à certaines choses, à l’esthétique de l’objet qui devient symbolique. La collection permet aussi de figer un moment, de laisser une trace face au temps qui passe bien vite quand on est petit. Parallèlement, nous est montrée aussi la beauté de l’éphémère par ce cheval dessiné dans la neige et prenant toute sa place dans la collection de chevaux de Lise même s’il ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Il ne s’agit pas seulement de posséder toujours plus des choses mais de les chercher, les trouver, les lier, les imaginer, les sélectionner, les organiser, les présenter… Voilà une marotte qui rassure, qui accompagne par l’accumulation comme un cocon que l’on se crée par cette sorte d’autel à la collection, le lieu où elle est placée et sa disposition devenant tout aussi importants qu’elle-même. La collection est un tout, donnant un sentiment de plénitude en la contemplant, mais un tout qui peut toujours être complété, un tout infini, aussi rassurant que vertigineux en cela. Tant d’apaisement et de douceur se dégagent de ces intimités que l’on dévoile légèrement entre jeu et réassurance.

Dans cet art de la collection, l’on navigue entre solitude et partage, ce qui nous apparaît tour à tour selon les différents portraits d’enfants. La recherche y est souvent une occupation solitaire. L’acte de glaner peut sembler anodin mais pourtant il implique un regard, une attention et un geste pouvant en lui-même être poétique dans sa répétition et son esthétique. Ce n’est pas une simple passion des objets en eux-même ou une vision utilitariste de ceux-ci mais une fixation sur certains de ces objets pouvant peut-être combler un manque autre. Il y a parfois du secret dans les collections, voire une appréhension de leur découverte par d’autres. Ainsi, Pio voulait un jardin et collectionne toutes sortes de fleurs qu’il fait délicatement sécher pour s’en faire un herbier ; il le cache à ses parents sans soupçonner l’aide technique sans jugement que son père lui apportera une fois sa passion découverte. Mais d’autres collections peuvent donner lieu au partage et à la transmission. Ici, toutes les collections sont présentées comme celles de tel ou tel enfant, sauf la collection de mains, collection pour Cléo, destinée à elle et non lui appartenant, transmise par sa grand-mère à sa mère puis par sa mère à elle avec des enrichissements de génération en génération.

Les textes de Victoire de Changy s’avèrent fins et poétiques. Chaque portrait prend corps sur plusieurs pages au fil des jours de la semaine, induisant son propre classement des collections, entre liens que l’on peut percevoir et sentiments propres à l’autrice agençant méticuleusement sa collection à elle au mieux. Ces courtes histoires en elles-mêmes sont très imagées et en cela forment poésie. Les textes sont aérés avec de fréquents retour à la ligne allant vers la forme du vers libre et apportant beaucoup de musicalité à la lecture. La répétition presque rituelle de la formule « Son cœur bat si fort qu’il fait trembloter tout son corps. » va jusqu’à l’apogée de la collection de battements de cœur où chacun des petits collectionneurs précédents aurait toute sa place, comme nous à cette lecture. Chaque portrait en dévoile pudiquement un peu plus sur la collection et sur l’enfant. Une grande émotion se dégage alors de cette lecture. L’on ressent autant l’amour, la tendresse et la sensibilité de l’autrice pour ses sujets que ceux de ces enfants pour leurs collections. Une grande attention est portée à chaque enfant, chacun étant unique et précieux mais lié aux autres dans ce recueil comme dans une collection. Ce livre devient alors la plus douce des compilations en parallèle à Pio qui fait de son herbier son jardin imaginaire.

Les illustrations de Fanny Dreyer complètent à merveille le texte, en enrichissant la portée plutôt que de simplement l’illustrer. Cela commence avec le format des cases de la couverture parfois repris à l’intérieur nous présentant un objet de chaque collection impliquant une forme de classement allant vers la présentation de planches naturalistes. L’on oscille entre ces quadrillages, des paysages somptueux, des portraits d’enfants chercheurs vers une forme de quasi-abstraction de certaines pages. Ici, grâce aux gouaches, feutres et crayons de l’illustratrice jouant avec les échelles et les nuances, le figuratif se mêle au symbolique, les paysages deviennent les motifs d’autres contours de galets ou de fleurs, la forme anguleuse d’une pierre devient une maison, la collection devient un abris, un réconfort aussi doux que puissant. Et me voilà toute retournée mais apaisée par tant de délicatesse.

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